Bernard Gaube

retour

Bernard gaube

Pays Agé, 2004

Huile sur toile

Ce sont les hommes qui décident des guerres et ce sont les enfants qui les font.

C'est une place noire de monde.
Apparemment.
Nous devons avancer côte à côte, la main dans la main.
La mienne est serrée dans celle de mon père.
C'est un des rares jours de l'année où je vois mon père, où la nécessité du travail relâche son étau.
Nous sommes le 21 juillet. C'est une journée offerte aux classes laborieuses.
Une disponibilité est laissée à être là : grandir ensemble, rire et pleurer en famille, rencontrer des amis, échanger.

Je me cogne la tête aux hanches des géants qui m'entourent. Nous nous frayons un passage vers les premiers rangs et je découvre entre les pattes des chevaux, en arrière fond, le palais Royal.
Il y a là des hommes perchés haut sur des montures qui soufflent des naseaux.
Les queues sont tressées, la croupe est brossée et luisante au soleil, le poil est organisé en damier comme celui sur lequel mon père m'apprend à jouer aux échecs.
Un contraste de valeur, un contraste de texture.
Ici de la laine tissée, là des poils coiffés.
Une alternance binaire et une organisation que je retrouverai plus tard dans certaines œuvres de Paul Klee.
Les chevaux piaffent d'impatience.
La mise en place devant le palais royale est longue.
De part et d'autre de l'animal sont attachés des tambours.

Les pattes sont le point faible des chevaux, m'explique mon père.
A Soignies, au seuil des carrières du Hainaut en grève, mon arrière grand-père lançait des billes sous les pattes des chevaux pour arrêter la charge de la gendarmerie sur la foule des ouvriers.

Je tente de me hisser sur un pilier de clôture du parc royal tel que j'y avais vu mon père aux actualités télévisées chez nos voisins.
Il était debout, sur un pilier d'une grille du parc royale. Il s'adressait à une foule.
Nous étions en 1960 durant les grèves que l'on a appelées les grèves de 60.

Vendredi 19 mai 2006. Un texte, signé Pierre Mertens, Du déni au négationnisme paraît dans le journal Le Soir. Ses réflexions sur l'état du monde aujourd'hui rencontrent les miennes. Il faisait beau. C'était le début de l'été. Nous n'étions pas en 1933, tel était la chute de ce texte que je garde en mémoire.
Il y a cinq ans encore, sans doute n'aurais-je pas partagé ce point de vue.

Septembre 2006.En compagnie de mon fils de 12 ans, je visite l'exposition consacrée à Charlie Chaplin au Botanique.
Le patriotisme est la plus grande insanité dont le monde a jamais souffert. Les derniers mois, j'ai parcouru toute l'Europe. Partout, le patriotisme est rampant, et le résultat sera une autre guerre, écrit Charlie Chaplin durant les années 1930.
Sans doute pourrions-nous nous interroger sur les causes de ces différents nationalismes et intégrismes qui agitent le corps social de la planète aujourd'hui et oser regarder en face l'injustice qui l'habite.
Au risque de nous engager dans un réel processus de culture et d'imaginer que des générations futures puissent en profiter.

J'écoute inlassablement Pablo Cassals interprétant J.S.Bach dans les Cello Suites.

Je suis né un 12 juillet.

Bruxelles, le 17 mai 2007.